Page de couverture de l’ouvrage d’Hervé Mauran, édition C. Lacour, Nîmes, novembre 1995, 256 pages dont 38 en annexes, format 21 X 15, table des annexes, sources et bibliographie, index des personnages et des lieux, index des médias, groupements d’intérêts et organisations diverses. livre assez rare
La photographie de couverture représente le char des Républicains espagnols lors de la fête de Privas du 16 mars 1947 (Photographie Jean Oisel, AD 07). Au premier plan, le caudillo assis sur son trône au sommet d’une prison où sont enfermés les opposants au régime, mais dont l’avenir semble menacé par un guérillero en armes et une liberté brandissant une épée vengeresse. En arrière-plan, la foule des spectateurs et un immeuble (caserne ?) de Privas.
L’ouvrage d’Hervé Mauran aborde un sujet alors peu traité concernant le rôle des républicains espagnols pendant la résistance dans les Cévennes et tout particulièrement en Ardèche. Paru dans le cadre de recherches universitaires, il se base sur les données d’une enquête ethnographique et le recueil de témoignages d’acteurs encore en vie, enrichis par l’apport des sources documentaires notamment celles des archives départementales de l’Ardèche (mais les séries concernant le cabinet du préfet n’étaient alors pas accessibles) et du musée départemental de la Résistance (lesquelles n’étaient pas encore versées aux AD 07).
Après une introduction rappelant le contexte de la guerre d’Espagne et de la « retirada », l’auteur traite le sujet en deux parties selon un plan chronologique : « Le temps des luttes clandestines » 1940-juin 1944, et en 2ème partie celui de « la Libération confisquée » (juin 1944-février 1946). L’accent est bien sûr mis sur le rôle des républicains espagnols réfugiés dans la résistance et tout particulièrement en Ardèche. Une focale qui pourrait induire le néophyte en erreur en privilégiant la part des Espagnols dans la Résistance, mais qui présente l’avantage de rappeler l’apport singulier qui fut le leur et qui fut parfois oublié.
Deux figures ressortent du récit, toutes deux emblématiques ; d’une part celle de Jean Pujadas Carolà, le libertaire, et celle de Cristino Garcia le communiste, issus de deux courants fratricides du Frente Popular espagnol, mais qui se réunissent un temps sur le sol français contre l’adversaire commun. L’un (Pujadas) s’intègre avec nombre de ses camarades au sein du secteur D de l’Armée secrète dans la région d’Aubenas, où il joue un rôle moteur aux côtés du commandant Bernard (Michel Banclihon), l’autre (Cristino Garcia) parvient à convaincre le premier à participer à la mise en place d’une brigade espagnole autonome, sans quitter l’AS. Celle-ci (19ème brigade de « Guerilleros espagnols ») devient en juin 1944 une formation militaire distincte de l’AS et des FTPF (ceux-ci avaient de leur côté, largement intégré des républicains espagnols au sein des FTP-MOI actifs dans le bassin houiller du Gard), tout en restant sous le contrôle de la Résistance française des FFI et participe activement aux combats communs.
Selon l’auteur, les républicains espagnols auraient représenté début juin 10% des effectifs de la Résistance en Basse Ardèche, proportion qui baisse rapidement toutefois avec l’afflux considérable de nouvelles recrues ardéchoises ou autres. Hervé Mauran observe par ailleurs qu’avec le passage en Basse Ardèche d’une partie de l’AS aux FTP début août 1944 (alors que Pujadas était hospitalisé) les 124 membres de la brigade espagnole (sauf Pujadas) font de même, traduisant une hégémonie du PCE (parti communiste espagnol) au sein de cette formation, laquelle garde sa spécificité au sein des FTP, tout en menant le combat avec l’ensemble des FFI.
Une fois l’Ardèche libérée, les guérilleros espagnols entendent poursuivre leur objectif final : la reconquête de l’Espagne. L’ouvrage s’achève sur cet épisode souvent méconnu, celui de la tentative d’insurrection que mènent les guérilleros à partir du Val d’Aran en Espagne en septembre-octobre 1944, à laquelle participent Jean Pujadas et Cristino Garcia (au-delà de leurs divergences), tentative vaine, Pujadas revenant en Ardèche, ainsi que plusieurs de ses compagnons. En Espagne, Cristino Garcia est chargé de reconstruire l’appareil clandestin du PCE, très lié à Staline. Mais il y est arrêté en décembre 1945. L’auteur souligne le retentissement de son procès, l’ampleur de la protestation, l’intervention de De Gaulle, celle de l’ONU qui refuse la demande d’adhésion franquiste jusqu’en 1950. Malgré la pression internationale, Cristino Garcia est exécuté le 21 février 1946. Cette dernière partie offre à l’auteur l’occasion d’évoquer la violente campagne menée à partir de 1951 (dans le contexte de la guerre froide) surtout autour de « l’affaire du puits de Fons », une campagne de dénigrement de la Résistance, visant en particulier les « espagnols rouges » et Cristino Garcia , accusés d’avoir commis les pires sévices et d’avoir jeté les corps de leurs victimes dans cet ancien puits de mine de fer près d’Aubenas. L’auteur souligne à la fois les exagérations et l’absurdité de certaines accusations, tout en reconnaissant la réalité de certains faits. Mais il démontre surtout que Cristino Garcia et la brigade espagnole y étaient tout à fait étrangers…
Jean-Louis Issartel
Contexte historique
Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’une recherche universitaire de l’auteur d’abord au sein de l’IEP de Grenoble de 1986 à 1992, débouchant sur plusieurs publications concernant les républicains espagnols en Cévennes, et notamment en 1999, une contribution dans l’ouvrage collectif coordonné par Denis Peschansky, « Les Indésirables, les camps d’internement et de travail dans l’Ardèche et la Drôme durant la seconde guerre mondiale », suivie en 2002 par la sortie d’un ouvrage En surnombre, un camp de travailleurs étrangers en France 1940-1945 préfacé par P. Broué aux éditions Notre Temps.
C’est en effet un vaste chantier ouvert surtout à partir des années 1980-1990 sortant de l’ombre, non seulement le rôle des étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi leurs conditions d’existence, les mesures administratives prises par les gouvernements successifs de la IIIème au début de la IVème République, et bien sûr sous le régime de l’Etat français. Ce regard plus acéré létait aussi face à la montée de l’extrême droite et des idées racistes et xénophobes.
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