Mag' Chasse

Les juxtaposés connaissent un franc retour en vogue, singulièrement dans le calibre 20 qui s'accorde magnifiquement avec eux. Presque tous les grands (et moins grands) fabricants en ont réintroduit une référence dans leur catalogue au cours des cinq dernières années. Le marché de la seconde main, longtemps délaissé, croule sous les demandes face à une offre quasiment inexistante en pièces de qualité. Les chasseurs qui s'enthousiasment pour le couple captivant, juxtaposé/calibre 20, se tournent en conséquence vers les armes neuves... même si leurs tarifs, complexité de leur fabrication oblige, s'envolent vite.

L'industriel allemand Merkel n'a jamais cessé d'assembler des juxtaposés, tradition armurière de l'Allemagne jamais cessé d'assembler des juxtaposés, dont la diffusion était devenue infime. Il a récemment retouché son intemporel modèle à batterie de percussion Anson, pour l'alléger un peu visuellement et un peu plus sur la balance, et l'a rebaptisé à cette occasion 45 E. Nous avons testé ce fusil « historique » en calibre 20/76, avec canons de 68 cm à chokes fixes quart et demi (le « serrage » maximum autorisant l'épreuve spéciale « billes d'acier » dont notre exemplaire d'essai bénéficie) et crosse anglaise. Ainsi configuré, le 45 E est vendu 6 390 € environ, ce qui le positionne clairement en arme de haut de gamme. Il pèse 2,730 kg, et il bénéficie d'un équilibre parfait et d'une remarquable concentration des masses autour de son centre de gravité, présageant d'une maniabilité et d'une vivacité exceptionnelles, qui en font d'emblée un fusil tout à fait séduisant. Du moins pour les chasseurs que ne rebutent pas la pesanteur des lignes allemandes d'un autre temps, les lourds devants à auget et les pontets empâtés vers l'avant (leurs partisans en vantent la fonctionnalité lorsque le tireur porte des gants épais...). Ou encore les noyers noirâtres et les gravures animalières aussi appuyées que les quadrillages prétendument « fins » des bois. La tradition armurière de l'Allemagne véhicule ses propres attributs...

Comme nous nous y attendions, connaissant bien les juxtaposés qui ont précédé le 45 E chez Merkel, la prise en main est tout aussi magique sur le devant que sur la poignée de la crosse. Le fusil fuse à l'épaule avec une vivacité magistrale, et la visée est idéalement guidée vers la cible par la bande droite positionnée haute par rapport aux canons, striée longitudinalement et terminée par un grain d'orge doré. En revanche, la crosse courte, très courte même (seulement 355 mm) déroute. Les dirigeants de Merkel semblent continuer à penser, comme il y a un demi-siècle, que le 16 est « le calibre des anciens » et le 20 « le calibre des femmes ».

Et encore, pour s'accorder avec « notre » 45 E, il est préférable que les dames ne dépassent pas 1,65 m... La quasi-totalité des acquéreurs du 45 E devront donc en faire allonger la crosse grâce à un sabot en caoutchouc marron très foncé ou noir, seules nuances s'harmonisant correctement avec le noyer de cette crosse.

La sûreté automatique surprend elle aussi désagréablement. Il s'agit de nouveau d'un accessoire d'un passé révolu, où la chasse n'avait pas accédé au rang de loisir populaire, et où beaucoup de juxtaposés étaient employés en paires, avec intervention d'un garde « chargeur » aux côtés de chaque chasseur. Le dispositif est heureusement aisé à déconnecter...

Les détentes affichent une course contenue, et elles libèrent avec une franchise parfaite une percussion rapide et puissante. La sensation de recul, générée par les cartouches chargées à 28 g de plombs ou à 24 g de billes d'acier, est tout à fait confortable (les magnum tirant 32 g de grenaille ou plus sont à juste titre délaissées par les amateurs du calibre 20). Les éjecteurs s'acquittent de leur mission avec une vigueur exemplaire. Quant aux gerbes produites par les longs chokes fixes, elles affichent une régularité prodigieuse, tant avec les munitions à bourre grasse qu'avec celles dotées d'une bourre à jupe et godet. Ces chokes se révèlent au demeurant plus « serrés » que suggéré par Merkel, puisque le « demi » affiche un rétrécissement de 0,45 mm et le « quart » une valeur de 0,25 mm, contre respectivement 0,35 mm et 0,175 mm pour le centre de la norme. Le 45 E atteste donc en action de la formidable maîtrise technique de la marque qu'il porte. En revanche, l'ajustage perfectible des canons à la bascule, le manque d'onctuosité du verrou et le positionnement légèrement décalé des deux éjecteurs montrent que le savoir-faire manuel des ouvriers de la firme (ou le temps qui leur est imparti pour accomplir leur tâche) ne soutient pas la comparaison avec l'époque où Merkel oeuvrait en République démocratique allemande.

Le juxtaposé Merkel 45 E s'affirme comme un fusil formidablement éprouvé, mais dont l'acheteur doit adhérer au style typiquement germanique, être en mesure d'en acquitter le tarif « confortable », et qu'il convient de faire adapter à l'époque présente (désactivation de la sûreté automatique, ajustement de la longueur de la crosse) avant d'en prendre livraison...