Un peu d’histoire
La Suisse est un des tout premiers pays à avoir adopté un pistolet semi-automatique en 1900 et c’est le pistolet de Georg Luger, le “Parabellum” (littéralement « pour la guerre »), qui gagne les tests suisses face à des noms de légende comme Bergmann, Mannlicher ou Mauser. Sans rentrer dans les détails, la Suisse adopte donc le “Pistole Modell 1900”, chambré en 7,65 Parabellum (7,65x21 mm). La cartouche de 7,65 Para est de la même famille que le 7,65 Borchardt, et qui donnera naissance à ses cousines éloignées 7,63 Mauser (pistolets C96) et 7,62 Tokarev (pistolets TT33). Elle se caractérise par la forme de son étui à collet rétreint dit “bouteille”.
En 1906, Georg Luger propose un nouveau modèle, reconnaissable de suite par les “oreilles” de genouillères pleines et moletées, et un extracteur renforcé. La Suisse suit l’évolution de l’arme et adopte le Pistole Modell 1900/06. À ce moment-là, c'est toujours la DWM en Allemagne qui produit les pistolets et les livre aux militaires suisses.
Durant la Première Guerre mondiale, les usines allemandes tournent à fond pour l’armée impériale et ne peuvent plus suivre les livraisons pour les pays tiers. La Suisse décide alors de transférer la production à la Waffenfabrik de Bern. Le temps de mettre les lignes de production en place, la guerre se termine et les premières livraisons de pistolets Modell 00/06 100% suisses ne sortent qu’en début 1919. La production de ce pistolet, souvent appelé “1906 Waffenfabrik”, continue jusque dans les années 20, où les services techniques de l’armée et la W+F de Bern proposent un nouveau design du pistolet, pour réduire les coûts : il en résulte le Pistole modell 1906/29. La production démarre en 1933 et se termine en 1946, pour un peu moins de 28 000 exemplaires. Une courte série de 1600 pistolets a été mise directement sur le marché civil (le numéro de série est précédé d’un “P” - à ne pas confondre avec la marque de privatisation).
Le P06/29 se distingue de son prédécesseur par une poignée droite, une pédale de sécurité plus longue, des “oreilles” de genouillère lisses et un tonnerre arrondi. D’autres différences sont présentes dans la simplification d’usinage de certaines pièces, la totale compatibilité entre les pièces des différents pistolets (ce qui n’était pas assuré avant sur les modèles précédents) et l’utilisation de matériaux différents, plus endurants. Le marquage est simplifié à la croix helvétique dans un blason.
Sur les premières années de production, la W+F de Bern a tenté d’innover avec des plaquettes de poignée en matière plastique “canevasite” de couleur rouge-orange. Le fond des chargeurs est aussi fabriqué dans cette matière. Malheureusement, ce nouveau matériau s’avéra très fragile à l’usage avec de nombreuses casses, et bien vite les plaquettes furent changées par du plastique noir. Ces P06/29 qui ont encore les poignées et le fond de chargeur orange sont plus rares, plus recherchés, et nous déconseillons le tir avec. À noter que n’importe quel chargeur de Luger conviendra, il n’y a aucune différence entre un modèle en 7,65x21 mm et 9x19 mm Parabellum : la cartouche possède le même culot.
Fonctionnement et prise en main
En soi, toutes les manipulations de l’arme, que ce soit pour le tir ou le démontage, sont identiques à n’importe quel pistolet Luger. Si vous avez déjà tiré avec un P08, vous ne serez pas dépaysé. La différence réside particulièrement dans la poignée : l’avant de la poignée est totalement droite. Cependant, lors de la prise en main, le tireur n’y verra quasiment aucune différence. Par contre, la pédale de sureté est bien plus longue et semble demander plus de “force” pour être appuyée que sur une pédale de P06, voire de Colt 1911 pour parler d’une arme bien connue avec le même dispositif.
Pour utiliser le P06/29, il suffit d’appuyer sur le bouton côté gauche de la poignée et de faire descendre le chargeur. Ensuite, s’aider du bouton latéral de chargeur pour faire descendre la planchette sur le ressort, puis laisser glisser chaque cartouche. Descendre jusqu’en bas avec le pouce peut s’avérer très difficile et normalement une clef est utilisée à cet usage. Ensuite, insérer le chargeur dans l’arme, puis, avec la main droite, venir sur les deux oreilles de la genouillère et tirer naturellement en arrière pour lever l’axe de la genouillère, et relâcher sans raccompagner l’ensemble. La première cartouche doit être chambrée, et l’extracteur au niveau du tonnerre doit être légèrement remonté et indiquer sur le côté gauche le mot “GELADEN” (Chargé).
Au dernier tir, la genouillère reste en arrière, invitant le tireur à approvisionner un nouveau chargeur plein. Il faudra obligatoirement retirer ce chargeur pour faire descendre la genouillère et tirer à sec pour désarmer l’arme. Le levier de sûreté sur le côté gauche de l’arme ne peut s’engager que si la pédale de sécurité est relâchée.
Le démontage s’effectue en tenant avec la main droite les oreilles de la genouillère plaquées contre la carcasse, puis on fait basculer le levier de verrouillage vers le bas afin de libérer la portière de démontage. Ensuite, on relâche la main droite et on retire vers l’avant l’ensemble canon-culasse. La genouillère s’enlève simplement de la partie supérieure de l’arme en poussant du bon côté le tenon, qui n’est finalement maintenu que par lui-même. Le démontage du percuteur demande un peu plus de dextérité avec l’aide d’un tournevis, il suffit de faire tourner d’un quart de tour la tige guide du percuteur. Attention à ne pas laisser s’échapper la tige guide sous peine de voir aussi son ressort s’échapper et se perdre… Néanmoins, ce démontage sera toutefois nécessaire pour bien nettoyer votre Parabellum.
Au tir
L’avantage du P06/29 par rapport à ses prédécesseurs, et même par rapport au Luger P08, c’est que le cran de hausse a été élargi. Du moins d’un simple V, on passe à un U. C’est souvent le gros reproche qui est fait sur les pistolets Luger : leurs visées sont très fines et il faut de bons yeux. Le P06/29 permet donc une prise de visée plus large, du moins cela reste relatif et on est bien loin d’une visée carrée comme aujourd’hui. Cependant, pour le tir sportif, c’est parfait dans le sens où la prise de visée devient binaire : vous êtes bien placé ou non. Il n’y a pas de place pour le flottement, soit votre cible, guidon et hausse sont bien alignés, soit vous ne les verrez simplement pas. Et c’est au moment où tout est bien aligné qu’il faut… appuyer sur la détente !
La détente des pistolets Luger est très large et toujours avec une course très courte. Celle du P06/29 n’y échappe pas. Il serait difficile d’y faire une généralité tant cela peut varier d’un exemplaire à un autre, mais les modèles suisses sont parmi les meilleurs. Le doigt exerce une légère pression et arrive tout de suite en butée. Ensuite l’action est immédiate, le coup part et le reset minuscule.
On peut dire que l’ergonomie générale du pistolet ne sera pas au goût de tout le monde, surtout pour celles et ceux qui sont habitués aux pistolets modernes. La pédale de sécurité peut paraitre gênante, les organes de visées sont très fins, la course de la détente très fine et pourtant… les résultats en cibles sont toujours excellents. De plus, le recul du 7,65 para est vraiment souple.
À noter, pour les pratiquants du TAR que les gongs basculent sans problème. Cependant, la difficulté pour tirer avec ce pistolet sera de trouver des munitions dans le commerce : l’offre est faible. Il sera quasiment obligatoire de recharger. Le pistolet est tout à fait apte à encaisser les tirs de munitions manufacturées, mais il mérite aussi, au vu de sa haute précision, de tirer des cartouches faites par vos soins.